Enseignement : pour un pilotage par les
filières
Il me semble que la situation
a changé et qu’on peut aujourd’hui (et peut-être même on doit?) changer de
point de vue. Sans prétendre que les difficultés de gestion sont derrière nous,
on voit à présent, notamment grâce à ceux qui se sont investis dans ces
problèmes, la sortie du tunnel. Mais surtout le savoir que nous délivrons
évolue constamment, les frontières entre les disciplines s’estompent, la
concurrence entre les universités s’amplifie. L’enjeu primordial est
aujourd’hui de proposer des formations, souvent pluridisciplinaires, dont la
cohérence et la pertinence sont manifestes : au delà d’une bonne gestion,
leur qualité relève surtout de la conception et de l’innovation.
Il s’agit notamment d’attirer vers ces formations des étudiants venant d’Europe
entière voire plus loin et de les séduire par
leur originalité et les atouts
qu’elles donnent pour une bonne insertion dans la vie professionnelle.
Comment s’organiser pour
assumer mieux ces missions essentielles ? Je pense qu’il faut les confier
à des responsables (ou directeurs) de filière, en définissant clairement
leurs attributions. Elles pourraient
consister notamment à
§
Assumer
la responsabilité de la maquette et sa mise à jour, notamment pour sa cohérence
sur 4 ou 5 ans et ses aspects pluridisciplinaires.
§
Garantir
la qualité et la pertinence des contenus des enseignements au vu des évolutions
récentes dans la ou les disciplines concernées.
§
Développer
et entretenir des relations avec les filières du même type dans les universités
étrangères, notamment pour faciliter les échanges d’étudiants.
§
Favoriser
les retombées des activités des laboratoires de l’Université vers les
enseignements (cours ou conférences par des chercheurs de passage, encadrement
de mémoires, création de cours originaux).
§
Contribuer,
en adaptant la formation aux besoins de la société, à l’insertion des étudiants
à la sortie de l’Université.
§
Contrôler
la cohérence entre les choix de répartition d’enseignements préparés par
les départements et les objectifs de la
filière.
§
Définir
les profils de postes nécessaires au développement de la filière et s’employer
à attirer les meilleurs candidats.
Bien que le législateur ait
explicitement prévu leur existence[2]
et que quelques filières, souvent parmi les plus innovantes, ont dès à présent
leurs responsables nommés, je constate une certaine résistance à l’idée de
modifier l’organisation actuelle des tâches. Une idée courante est que la
structure en coordonnateurs et chefs de
département nous ayant dans un passé récent sauvée du désastre, elle a fait ses
preuves et il n’est pas nécessaire de la compléter ni de l’enrichir. Une autre
crainte serait qu’un pilotage par les filières contribue à aggraver leur
cloisonnement au moment où justement on nous encourage à favoriser les
passerelles. Pour ma part, je pense tout au contraire qu’une identification
forte des filières, avec leurs particularités et, pourquoi pas, une compétition
amicale entre elles, peut précisément aider l’étudiant à s’identifier à un
groupe et donc à le rejoindre ou l’abandonner plus facilement, en valorisant à
ses yeux l’effort nécessaire à son insertion dans sa nouvelle famille.
Mais je crois surtout qu’on
ne peut abandonner les décisions stratégiques sur les contenus, les créations
de cours, les recrutements souhaitables, les grandes orientations, à des
collègues sur lesquels on compte avant tout pour la gestion au quotidien, sans
risquer de tomber dans ce que j’aurais envie d’appeler un pilotage par la gestion. On m’objectera peut-être que
ces grandes décisions, justement parce qu’elles sont importantes, doivent être
prises collégialement par l’ensemble du corps enseignant. Il me semble pourtant
que lorsqu’une communauté, ici l’Université, a la charge ambitieuse de mettre
en place et d’animer des formations, elle ne peut pas faire mieux, si elle veut
vraiment donner toute sa chance à l’innovation, à l’enthousiasme, bref à la
création, que de confier la mission à l’un des siens qui tirera la barque
quelques temps avant qu’un autre, plus créatif et dynamique ne vienne le
remplacer. On pourrait par exemple nommer les responsables de filière pour
trois années, renouvelables ou non.
Au delà des
têtes bien pleines (combien d’heures, quels coefficients ?), nous avons
tous le souci de construire chez nos étudiants des têtes bien faites (quel savoir, pour quels objectifs ?)
et il faut s’en donner les moyens. Ni les chefs de département ni les
coordonnateurs d’année n’ont, à mon sens, la possibilité d’assumer cette tâche. La coordination des
enseignants intervenant une année donnée auprès d’un groupe d’étudiants est
indispensable et le restera. Mais elle n’implique nullement une vue d’ensemble
sur un cursus complet, et le coordonnateur a bien assez à faire avec les problèmes
de gestion. Quant au chef de
département, il supervise l’action d’enseignants dans de nombreuses filières
(dont certaines d’ailleurs ne relèvent pas uniquement de son champs
disciplinaire) et il paraît difficile qu’il soit compétent pour chacune d’elles.
Cependant, et heureusement pour nos formations, bien des chefs de département
et certains coordonnateurs, ressentant la nécessité que les taches de
responsable de filière soient effectivement assumées par quelqu’un, ont pris
sur eux certaines d’entre elles, souvent avec le sentiment de ne pas avoir
réellement ni le temps ni le recul nécessaire. On pourrait aussi songer à
confier l’animation scientifique des filières aux laboratoires au sein desquels
se trouvent les compétences nécessaires. C’est une possibilité. Mais la
direction des filières est une mission d’enseignement qui ne relève pas, en
tant que telle, des laboratoires, même s’il est indispensable que l’interaction
entre les filières et les laboratoires soit importante.
La question de savoir si la tâche de responsable de filière doit
donner lieu à une rémunération (allègement de service par exemple) n’est
pas essentielle à mon sens. Pour ma part je n’ai pas eu le sentiment en
agissant à ce titre de faire autre chose que le métier de professeur d’Université
pour lequel je suis rémunérée. Mais il faut y réfléchir, car on ne peut nier
que l’absence totale de reconnaissance de l’institution pour ce type de travail
puisse être une source de frustration.
Pour conclure, il me semble que
la nomination de responsables de filière, et la clarification de leurs
attributions au sein de l’organigramme de l’Université, est devenue
indispensable pour assurer le dynamisme de nos formations et leur visibilité
nationale et internationale. D’avance je remercie tous ceux, enseignants ou
étudiants, qui voudront bien me communiquer leurs critiques ou
suggestions.
Francine Diener
Département de Mathématiques
et
Laboratoire J.A. Dieudonné
Tel: 04
92076209
fdiener@math.unice.fr
[1] Je parle
pour ma discipline, les Mathématiques,
mais je présume que la situation est comparable ailleurs
[2] Art 8
de l’arrêté du 9-4-97 relatif au diplôme d’études universitaires
générales, à la licence et à la maîtrise– « Le président de l’université
ou le chef d’établissement publie chaque année les objectifs de chaque
formation, tels qu’ils ont été fixés par les instances compétentes, ainsi que
le nom de l’enseignant ou de l’enseignant chercheur qui en est
responsable. »