L'agrégation vue par André Weil
André Weil, mathématicien français (1906-1998),
reçu premier à l'agrégation en 1925 (à 19
ans donc).
Extraits de ses "Souvenirs
d'apprentissage", Springer 1991, p.43-44 :
"La troisième année d'Ecole [normale
supérieure, rue d'Ulm] était celle de la
préparation à l'agrégation. Mon travail s'en
ressentit : non que je fisse de grands efforts pour préparer ce
concours, auquel il était obligatoire de se présenter en
fin d'année ; mais j'avais mauvaise conscience pour faire autre
chose. J'y gagnai de prendre goût à la musique et de
fréquenter assidûment les concerts. [...] C'était
un royaume de plus qui s'ouvrait à moi.
Le concours consistait en quatre séances de
problèmes et en deux leçons à faire en
présence du jury sur des sujets tirés des programmes des
classes secondaires. On se préparait aux problèmes en
traitant ceux des années précédentes ; la plupart
étaient fort biscornus ; je n'en fis guère, et n'eus pas
à le regretter. En revanche la "leçon
d'agrégation" est un exercice des plus utiles, surtout s'il est
suivi d'une critique judicieuse. On y apprend à faire le plan
d'un exposé ; on y apprend, ou on devrait y apprendre, à
se comporter comme il convient au tableau noir, à parler
à l'auditoire plutôt qu'au tableau, à mettre en
valeur les points qu'on juge importants. Comme élève
à l'Ecole, puis à la faculté de Strasbourg quand
j'eus moi-même à diriger ces exercices, j'y ai
trouvé profit ; il m'a souvent paru fâcheux que les
étudiants américains n'aient à pratiquer rien de
tel. En 1925, à l'oral du concours, qui était public et
avait lieu au lycée Saint-Louis, un de mes camarades, venu
entendre ma leçon, vit un membre du jury tracer quelques mots
sur un papier puis l'abandonner à son banc ; vite il s'en empara
et lut : "il sera ministre". Heureusement cette prédiction, ou
plutôt cette malédiction, ne s'est pas
réalisée."